Inquisitio : pauvre Moyen Age

Inquisitio : pauvre Moyen Age

La torture dans Inquisitio
Scène de torture d’un paysan dans Inquisitio

« On pensait en avoir fini avec les clichés éculés sur ce pauvre Moyen Âge, sans cesse ramené au fanatisme religieux, à la violence, la peste, la boue, la crasse, et à l’obscurantisme en général. On se trompait.

La nouvelle série estivale de France 2, Inquisitio, parvient à réunir non seulement toutes les pires idées reçues sur le Moyen Âge, mais également à donner une vision du catholicisme médiéval tout aussi caricaturale, voire douteuse, provoquant des réactions sur le net, y compris très drôles et pleines d’autodérision…La fiction, car c’en est une, peut-elle tout permettre ? Et est-elle « innocente » ?

(…) Est-on obligé lorsque l’on fait une fiction de ressortir tous les clichés possibles, déjà usés jusqu’à la corde, sur le Moyen Âge ? Le créateur, Nicolas Cuche, déclare que sa vision de l’époque médiévale relève plus « de la science-fiction et des jeux vidéos » que de la réalité historique. Certes. Mais, parallèlement, il affirme : « Le Moyen Âge est le miroir déformant d’une réalité actuelle qui renvoie au repli communautaire et à l’obscurantisme religieux » …En prenant le cadre du Moyen Âge, même en s’inscrivant dans le cadre fictionnel, le réalisateur veut ainsi parler de l’obscurantisme religieux et du repli communautaire d’aujourd’hui. La fiction n’est donc pas « innocente »…

(…) Le Moyen Âge, c’est surtout une Eglise et une Inquisition symboles multiséculaires de l’obscurantisme religieux. Inquisiteur sadique, pape érotomane, évêque toxico et libidineux… La blogosphère a rapidement réagi à la vision du catholicisme médiéval donnée par la série. Des réactions hostiles de certains catholiques, mais aussi souvent pleines d’humour (voir les liens plus bas), ce qui est plutôt rassurant. Le journal La Croix est plutôt bienveillant, malgré quelques critiques, et n’y voit pas un « brûlot anticlérical ». Le réalisateur lui-même prétend ne pas vouloir s’attaquer à l’Eglise. Pourtant, la présentation sans nuances de l’Eglise du XIVe siècle laisse songeur.

D’abord l’Inquisiteur. Certes, il a un passé plutôt traumatisant. Il a également une certaine culture rationnelle, comme on peut le voir quand il démonte le show de Catherine de Sienne. Mais comme tout Inquisiteur qui se respecte, dans sa traque de l’hérétique (motivée par un passé douloureux et œdipien) il est fanatique, sadique, prêt à tout pour arriver à ses fins, y compris la torture (que serait l’Inquisition sans la torture ?). Catherine de Sienne, justement, n’a rien à lui envier en fanatisme, puisqu’elle est prête à répandre la peste pour parvenir à ses fins, c’est-à-dire rétablir les droits d’Urbain VI face à Clément VII. En plus, ses stigmates, c’est du chiqué ! Le pape d’Avignon, lui, ferait passer Alexandre Borgia pour un jésuite, puisqu’on le voit presqu’en permanence dans son harem, entourée de jeunes filles dévêtues. Et en bon politicien cynique, il est prêt à sacrifier quelques juifs pour calmer le peuple. L’évêque de Carpentras, quant à lui, est toxicomane et obsédé par l’intimité de la jeune sorcière qui lui sert de dealeuse…Ce tableau de l’Eglise du XIVe siècle est en permanence mis en opposition avec la communauté juive de Carpentras, plutôt soudée, et représentée par deux médecins progressistes (père et fils) qui aident leur prochain (une femme enceinte), même chrétien, et malgré les risques, tout en enquêtant sur la diffusion de la peste en disséquant des rats.

Alors bien sûr, on pourrait se dire que la série n’est qu’une fiction inoffensive, et passer notre chemin. Certains se contenteront de supporter ces clichés et, malgré le scénario assez prévisible, une réalisation médiocre et une interprétation inégale, seront peut-être accrochés par l’intrigue et voudront aller jusqu’au dénouement. Pourtant, particulièrement quand on est fan du Moyen Âge, cela devient lassant de toujours voir sa période aimée ramenée à l’obscurantisme religieux et à la violence. (…) »

Article intégral à lire sur le site Histoire pour tous

3 réflexions sur « Inquisitio : pauvre Moyen Age »

  1. J’ai contacté France 2 par courriel afin de dire mon agacement concernant les clichés éculés sur le Moyen Age véhiculés par la série « Inquisitio ». Voici, pour information, la réponse que je reçois :

    Bonjour,

    Vous avez exprimé votre mécontentement à la suite de la diffusion inédite de la série « Inquisitio » sur France 2. Vous auriez souhaité que le thème de la religion soit abordé de manière neutre.

    Je vous remercie d’avoir pris le temps d’écrire à la chaîne pour faire part de votre sentiment.

    Le réalisateur Nicolas Cuche fait une plongée, pour cette fiction, dans la France du XIVe siècle, lors d’une période troublée par une guerre papale.

    Il s’est inspiré de 2 romans historiques à succès pour écrire ce thriller médiéval, « Le nom de la rose » d’Umberto Eco et « Les piliers de la terre » de Ken Follett.

    Cette fiction reflète cependant en partie la société de cette époque totalement sous l’emprise de l’orthodoxie religieuse mais ne se veut en aucun cas la représentation exacte de ce qu’était la religion catholique à cette période là.

    Nicolas Cuche, assure qu’il n’avait aucun dessein anticlérical en réalisant cette série. « Inquisitio » n’est pas une fiction télévisuelle à vocation pédagogique mais bien un thriller bâti sur les codes des séries. Il indique également que c’est une pure fiction qui a été néanmoins relue et vérifiée par des historiens et qu’elle se déroule bien au cœur d’une vérité historique.

    Je reste à votre disposition pour toute autre information et vous souhaite d’agréables moments en compagnie de vos programmes.

    Bien cordialement,

    Franck Vautier
    Directeur délégué en charge de la communication Relationnelle

  2. Merci Christian pour cette information. De notre côté, nous n’avons pas eu la même réponse, à croire que vous avez eu un traitement de faveur. Dire « une pure fiction qui a été néanmoins relue et vérifiée par des historiens et qu’elle se déroule bien au cœur d’une vérité historique » c’est clairement vouloir nous faire croire que ce qui est relaté est fidèle à l’Histoire, alors qu’on ne relève plus les nombreux anachronismes, les erreurs flagrantes et les personnages historiques tournés en dérision.

  3. Bonjour,

    Je paraphraserai les propos de M. Vautier en disant que l’Union Soviétique a vécu « totalement sous l’emprise de l’orthodoxie communiste » et que nous vivons aujourd’hui « totalement sous l’emprise de l’orthodoxie financière », et une partie du Pakistan subit « totalement l’emprise de l’orthodoxie talibane ».

    Les mots « totalement », « emprise », et « orthodoxie » ont un sens dans mes trois exemples et nous ramènent à trois formes de « totalitarismes ».
    En revanche, utiliser ces mots dans le cadre du Moyen-Age est une bêtise historique parce qu’elle plaque sur le passé un concept d’aujourd’hui qui n’est d’ailleurs pas clairement nommé dans le courrier de M. Vautier.
    L’utilisation de ce concept auquel renvoie l’enchaînement des mots « totalement / emprise / orthodoxie » relève de l’a peu près intellectuel que votre site dénonce justement.

    Cependant, ce qui me chiffonne dans ce courrier est que je doute du seul à peu près intellectuel. J’y verrais plutôt un usage intentionnel des mots, un raccourci qui cautionne a priori la liberté de faire n’importe quelle oeuvre de fiction.
    Contre le totalitarisme, tous les moyens sont bons, n’est-ce pas.

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