Inquisition : quand les papes protégeaient les Juifs

La série télévisée « Inquisitio », dont les deux premiers épisodes ont été vus par 4.200.000 téléspectateurs mercredi soir, reprend un thème cher aux antisémites des « années noires » en France : l’Eglise aurait elle-même prescrit des mesures d’exclusion contre les Juifs et aurait aussi imposé à ces derniers un signe distinctif, vouant les Juifs à la vindicte des chrétiens…
Voilà un poncif récurrent que l’on retrouvait déjà dans les journaux collaborationnistes, immondes feuilles de choux financées par la propagande nazie, pendant l’été 1942 au moment même des grandes rafles que nous commémorerons bientôt. Dans l’esprit de la propagande vichyssoise et allemande, c’était le moyen de faire porter aux chrétiens le chapeau de l’antisémitisme et de clouer le bec aux prélats qui dénonçaient les rafles.
Ceci posé, revenons à la série télévisée… La scène se déroulerait en Avignon, dans un XIVème siècle recomposé où des cardinaux de curie verraient d’un bon œil de s’en prendre aux Juifs puisque cela fait plaisir aux chrétiens.
Or les Juifs du Comtat Venaissin ont toujours joui d’une situation privilégiée dans l’univers troublé de l’Occident médiéval, comme le constate l’historien Léon Poliakov dans sa volumineuse histoire de l’antisémitisme. En dépit de la situation troublée de la papauté de ces temps, déchirée par le Grand Schisme d’Occident (1378-1430), où il y eu jusqu’à trois papes, les Juifs ont conservé les privilèges qu’ils avaient acquis depuis la plus Haute Antiquité. N’a-t-on pas découvert des traces de la présence d’une communauté juive à Vaison-La-Romaine, datant du 1er siècle avant JC ? À ce titre, ils sont parmi les plus anciens habitants du pays et les papes se sont toujours attachés à maintenir les droits civiques qu’ils tenaient des empereurs romains… c’est ce que recommandait le pape Grégoire le Grand au VIIème siècle. Ses successeurs ont toujours souhaité maintenir ces droits acquis depuis la plus haute antiquité et leur ont accordé leur protection. La Constitution « Licet perfidia Iudaeorum » du pape Innocent III de 1199 interdit de les convertir de force, de les molester et d’enlever leurs biens, de profaner des cimetières juifs, de « modifier les bons usages qui étaient les leurs jusque-là dans la région qu’ils habitent ». Ceux qui violent ce décret sont menacés d’excommunication. Ce qui a le mérite d’être clair. Le pape Grégoire IX, qui institua l’Inquisition en 1231, exhorta les évêques à secourir les Juifs persécutés lors de la 5ème croisade dans la bulle Etsi Judaorum de 1233.
Qu’en est-il donc de la rouelle et autre signe distinctif ? Le même pape Innocent III a recommandé pendant le concile de Latran IV en 1215 le port de la rouelle pour les Juifs et les Musulmans. Cette ségrégation s’imposait, à la demande des autorités civiles, dans certains pays où les trois confessions cohabitent ensemble. Elle veut interdire les unions entre les chrétiens et les adeptes des autres religions. Ce signe distinctif prend la forme d’un chapeau en Allemagne, d’un cercle d’étoffe jaune en France. Dans le Comtat Venaissin, où les Juifs persécutés dans les royaumes voisins se réfugiaient volontiers, les papes ne se sont pas empressés d’exiger cette mesure. Elle ne fut imposée que tardivement. Les hommes portaient un cercle de fil blanc à peine visible et les femmes mariées devaient porter des boucles d’oreille. Il ne s’agissait donc pas de désigner les Juifs à la vindicte des chrétiens mais plutôt de veiller aux bonnes mœurs entre les sexes et les religions différentes.
One thought on “Inquisition : quand les papes protégeaient les Juifs”
« Il ne s’agissait donc pas de désigner les Juifs à la vindicte des chrétiens mais plutôt de veiller aux bonnes mœurs entre les sexes et les religions différentes. »
Peux-tu nous en dire plus sur ces bonnes mœurs ?