« Les juifs du pape » (1/2)

« Les juifs du pape » (1/2)

Dans Inquisitio, les Juifs se font arrêter par l’Inquisition alors que l’Inquisition ne s’occupait que des chrétiens ne suivant pas la doctrine de l’Eglise.

Dans la série Inquisitio, il semble que l’Eglise soit peuplée d’antisémites… qu’en est-il réellement ?

Alors que dans le reste de l’Europe, et notamment dans le royaume de France, des mesures d’expulsions sont prises régulièrement contre eux, les juifs trouvent refuge dans le Comtat Venaissin et en Avignon, sous la souveraineté des papes. Une très ancienne communauté juive s’y trouve déjà, avec son originalité et ses modes de vie. On les appelle « les juifs du pape ».

Avignon, Carpentras, Cavaillon, L’Isle-sur-la-Sorgue : à cette constellation de villes comtadines autour d’Avignon est associée l’histoire étonnante d’une communauté juive, certes peu nombreuse – elle n’a jamais dépassé deux ou trois milliers – mais très originale. Ces villes provençales ont été, au Moyen Age, l’un des rares refuges vraiment sûrs pour les juifs. Pendant des siècles, la papauté a su jumeler son antijudaïsme structurel et une protection des juifs tout aussi constante, même si elle paraît très incomplète à nos yeux de «modernes».

Toutefois, «les juifs du pape» étaient là bien avant les papes. Ils sont les héritiers d’un judaïsme provençal dont les origines remontent à l’Antiquité. La première présence de la diaspora juive en Provence date du Ier siècle. Dans la cité d’Avignon elle-même, la communauté juive est attestée au moins dès le IVe siècle. Puis, elle a dû perdurer mais les témoignages historiques se font très rares: presque plus rien avant le Xe siècle.

Les données sont beaucoup plus abondantes à partir des XIIe et XIIIe siècle. En 1178, l’empereur Frédéric Barberousse, suzerain de la Provence, met les juifs d’Avignon sous la protection de l’évêque du lieu. On trouve alors des juifs dans la plupart des villes de Provence: une ou deux familles dans les simples bourgs; de véritables communautés dans les cités plus importantes. Telle est la situation lorsqu’en 1274, le Comtat Venaissin passe sous l’autorité du pape.

Edit d’expulsion

La chance pour les populations juives de la Provence médiévale est la coïncidence historique entre l’édit d’expulsion de Philippe le Bel en 1306 et l’établissement de la papauté en 1309.

A l’époque des papes d’Avignon, en quoi consiste le statut des Juifs dans l’enclave pontificale? Bien sûr, il n’est pas question d’un régime d’égalité avec les chrétiens, dans un Moyen Age qui en ignore l’idée même. Juridiquement parlant, une certaine égalité existe pourtant, puisque les juifs y sont considérés comme «citoy-ens» au même titre que les chrétiens: les tribunaux sont les mêmes, les contrats sont validés par les mêmes notaires. Dans la pratique, la plupart des différends qui opposent les juifs entre eux sont réglés à l’amiable au sein de la communauté, par des arbitres désignés. Ainsi, l’autorité de la ville n’aura pas à s’en mêler.

Au Moyen Age, leurs métiers ne se distinguent guère de ceux du reste de la population, même si des taxes particulières leur sont imposées par l’administration pontificale. Nombreux pratiquent l’artisanat et surtout le commerce. On compte aussi des médecins, dont certains sont rattachés aux monastères et aux évêques de la région. En Avignon, les chirurgiens juifs peuvent exercer en vertu d’une loi explicite. En outre, on trouve jusqu’au XVIe siècle des juifs fermiers des redevances et des péages pontificaux. Ici comme ailleurs, ils pratiquent le prêt à intérêt, l’usure étant interdite aux chrétiens par le droit canonique. C’est d’ailleurs une fréquente cause de conflits, surtout lorsque les récoltes sont mauvaises et que les paysans débiteurs se retournent contre les usuriers juifs en voulant tirer parti abusivement de la différence de religion pour réduire leurs dettes.

Moins de contacts

La principale ségrégation, qui place la communauté juive à part, est géographique: c’est l’isolement, au sein des villes, dans des quartiers particuliers. Il s’agit d’une tendance générale depuis le XIIe siècle visant à restreindre les contacts entre chrétiens et israélites. Dans les villes de la Provence pontificale, les quartiers Juifs sont appelés «carrières», du provençal carriero, qui signifie «rue». C’est en fait un ensemble de plusieurs rues, qui forment le territoire exclusif de la communauté. Les noms en gardent encore la trace de nos jours: rue de la Juiverie, rue Jacob, rue Abraham. L’insalubrité y est souvent extrême, l’exiguïté aussi. Faute de place, on édifie des immeubles de plus en plus hauts, jusqu’à six ou sept étages. Les constructions sont fragiles et les accidents très meurtriers. Le 6 mars 1314 en Avignon, à la suite de noces particulièrement festives, une maison juive s’écroule: on dégage 23 morts et 11 blessés.

Au centre de la «carrière» se trouve la synagogue, dont la surface, limitée elle aussi, oblige à une architecture originale, toute en hauteur: on construit deux salles de priè-re superposées, l’une pour les hommes, l’autre pour les femmes. Une simple baie grillagée permet à celles-ci d’apercevoir les livres sacrés.

Chaque « carrière » a ses statuts, révisés tous les dix ans. A sa tête, un conseil de douze mem-bres désignés, selon un système censitaire, parmi les juifs possédant un capital. En cas de nécessité, tous les chefs de famille sont réunis en « parlement général ». La « carrière » entretient un rabbin, désigne un responsable pour diriger l’école, un autre pour recueillir les aumônes, un autre encore est chargé de l’entretien matériel de la synagogue. Il existe un rite particulier au Comtat Venaissin, de même que des usages locaux en matière de fiançailles ou de mariages. L’endogamie est étroite, et c’est sans doute l’une des raisons essentielles du maintien des traditions et de l’identité du judaïsme comtadin.

Lorsqu’il sort de la «carrière», le juif doit être reconnaissable immédiatement. Il est donc censé porter un signe distinctif: pour les hommes la «rouelle», une sorte de roue (rouge selon l’ordonnance de saint Louis de 1264, puis rouge et blanche, puis jaune), remplacée en 1524 par un chapeau jaune; pour les femmes une coiffe au Moyen Age, puis ensuite un nœud jaune. Ces signes restent théoriquement en usage jusqu’à la Révolution. Mais en pratique, il semble que de nombreux accommodements aient existé.

Suite

Source : © Histoire du christianisme magazine (revue disponible en kiosque) 

 

One thought on “« Les juifs du pape » (1/2)

  1. Un roi qui a imposé aux juifs de France le port de la rouelle, avant de les expulser en Espagne, et qui a fait brûler la langue au fer rouge en punition pour les blasphémateurs, ne mérite pas le nom de saint Louis, à peine celui de Louis IX.

                                                                                                  
                                                                                                  
                                                                                                  
                                                                                                  
                                                                                                  
                                                                                                  
                                                                                                  
                                                                                                  

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *