Une critique d’Inquisitio (1/2)

Une critique d’Inquisitio (1/2)

Inquisitio - Le Grand Inquisiteur, Guillaume Barnal (Vladislav Galard)
Le Grand Inquisiteur, Guillaume Barnal (Vladislav Galard), dans Inquisitio

Le Moyen Âge se vend bien – très bien même – merci pour lui. En témoigne la « saga de l’été » Inquisitio de France Télévisions, diffusée à partir du 4 juillet 2012, qui compte huit chapitres à raison de deux épisodes chaque mercredi soir pendant quatre semaines. Dans une volonté de produire un objet marketing évoquant le Moyen Âge du XIVe siècle et répondant au diktat de la sainte audience audiovisuelle, à la fascination populaire pour la période et mais aussi à des fins de distraction estivale, Inquisitio nous propose une approche de l’histoire religieuse méridionale des plus discutables, et qui s’inscrit – comme d’autres productions mises à l’écran ces dernières années – dans les mésusages du Moyen Âge à la télévision.

Sans mettre en doute les qualités professionnelles réelles du réalisateur Nicolas Cuche qui se revendique « créateur d’univers visuels », sans contester sa volonté de faire une « belle image » – qu’il défend dans un entretien publié dans le dossier de presse –, on peut s’interroger sur le contenu réel de l’histoire, sur la réalité historique que l’on est censé attendre et, surtout, sur ce que la série veut faire passer au téléspectateur. Une précision sur le contexte : la principale inspiration de Nicolas Cuche est l’auteur de science-fiction transalpine Valerio Evangelisti et sa série d’ouvrages d’héroïc fantasy (très bons) intitulés Nicolas Eymerich Inquisiteur. Point de conseiller historique sollicité pour une expertise, afin de donner une caution scientifique à la série diffusée par France Télévisions, groupe audiovisuel public. L’approche de la démarche historique n’est d’ailleurs pas à l’ordre du jour. Le réalisateur l’affirme lui-même : « Inquisitio n’est pas une leçon d’histoire homologuée par une batterie d’experts, on n’y défend que le bonheur de la fiction, la jubilation, le jeu avec les personnages et les situations ». Même si cela n’est pas une excuse, le décor est posé, le contenu – qui ne sera donc pas historique – est à suivre.

De prime abord, le titre de la série de l’été a de quoi faire lever un sourcil à un historien quelque peu averti. Un peu de latin ne fait pas de mal, mais tout de même : « Inquisitio »… Une légitimité historique douteuse de la série par l’usage du latin dans ce titre qui ne dit rien, mais suggère au téléspectateur de bien sombres images de bûchers, tortures et autres atrocités « moyenâgeuses », car le Moyen Age est… atroce. La bande-annonce officielle, hélas, le confirme, avec des recettes qui fonctionnent, mobilisant des archétypes prétendument médiévaux comme des méchants moines, une sorcière inquiétante, une bonne scène de torture ou le choc des épées. Un peu d’humilité et de curiosité historique : inquisitio veut simplement dire « enquête », le fondement même de la procédure inquisitoire installée par les tribunaux de Toulouse et Carcassonne dans la première moitié du XIIIe siècle – L’Inquisition est officiellement établie dans le sud de la France en 1231. Cette enquête permettait aux inquisiteurs d’organiser un quadrillage administratif du territoire languedocien et de mener à bien la recherche des dissidents religieux dans le comté de Toulouse et les vicomtés voisines. Elle autorisait le juge inquisiteur à se forger un avis sur le suspect d’hérésie, à formuler un jugement et à prononcer si nécessaire une sentence. Or, d’enquête sur une dissidence religieuse, il n’y en a pas réellement dans cette série de huit épisodes.

L’histoire se déroule en plein Moyen Age (et non « Moyen-Age » comme il est écrit sur le site dédié pour la série de France Télévisions), en 1378 (et non de 1370 comme noté sur tous les dossiers de presse de la série) entre Avignon et Carpentras. Terre de papauté dans cette seconde moitié du XIVe siècle et depuis 1309, la région d’Avignon est étroitement liée au Grand Schisme d’Occident à partir de 1378, avec deux papes qui prétendent régner sur la chrétienté, l’un installé à Rome – Urbain VI – et l’autre en Avignon – le français Robert de Genève,  connu sous le nom de Clément VII. C’est avec ce conflit politico-religieux en fond d’écran que se déroule l’histoire-fiction d’Inquisitio où se croisent trois personnages principaux, Guillermo Barnal, un inquisiteur dominicain, improprement appelé « grand inquisiteur au service du pape Clément VII », Samuel, un jeune médecin juif de Carpentras qui dispose de « connaissance en médecine et en science bien supérieures à celle de son époque » (sic), et Madeleine, une belle sorcière (forcément rousse), vivant dans les profondeurs des bois, guérisseuse et magicienne, de toute évidence destinée au bûcher. Autour de ces personnages de fiction s’agitent des protagonistes secondaires. Certains ont réellement existés, mais leur place dans le récit relève plus de la caricature que du portrait – comme Catherine de Sienne, figure marquante du catholicisme médiéval, plus hystérique aux pulsions meurtrières que mystique dans Inquisitio – alors que les archives nous renseignent sur leurs actions, leur rôle dans l’Histoire, voire même leur quotidien.

Laurent Albaret (Sources médiévales)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *